Ô! Lit - Terre - Rature

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Illustration : Sarah Hoscheit

lundi 17 mars 2014

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Julien Green


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lundi 3 mars 2014

Des fleurs pour Algernon : intelligence et émotions








Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon (1966), 
éditions Flammarion, collection J'ai lu, 2012.


Roman traduit de l'américain par Georges H. Gallet en 
1972








1. Biographie de l'auteur

Daniel Keyes voit le jour à Brooklyn le 9 août 1927. À l'âge de dix-sept ans il s'engage dans la marine marchande puis reprend des études et obtient un diplôme en psychologie. De plus, il obtient une maîtrise de la littérature anglaise.

Il écrit plusieurs scénarios pour des comics publiés par des grandes maisons d'éditions américaines comme Marvel ou EC comics. On le croise également dans le milieu de la photographie de mode. Ensuite, il devient professeur d'anglais, de littérature américaine et d'écriture à la prestigieuse université de l'Ohio. 
En parallèle, Daniel Keyes s'essaie à l'écriture. Il publie en 1966, Des fleurs pour Algernon et en 1982, Les mille-et-une vies de Billy Miligan.

2. Le résumé apéritif¹

Algernon est une souris de laboratoire dont le traitement du professeur Nemur et du docteur Strauss vient de décupler son intelligence. Enhardis par cette réussite, les deux savants tentent alors, avec l'assistance de la psychologue Alice Kinnian, d'appliquer leur découverte à Charlie Gordon, un simple d'esprit employé dans une boulangerie. C'est bientôt l'extraordinaire éveil de l'intelligence pour le jeune homme. Il découvre un monde dont il avait toujours été exclu. Mais un jour les facultés supérieures d'Algernon déclinent...

3. Le succès du livre

Ce chef-d'oeuvre remporte de nombreuses récompenses. D'abord, le prix Hugo de la meilleure nouvelle en 1960. Ensuite, le prix Hugo spécial de la meilleure nouvelle longue de tous les temps en 1992. La nouvelle devient ultérieurement un roman qui gagne le prix Nebula du meilleur roman en 1966. Traduit dans plus de 30 pays, vendu à cinq millions d'exemplaires, il rencontre un grand succès. 

Aux États-Unis, il est adapté au cinéma par Ralph Nelson, en 1968, sous le titre de Charly. Cliff Robertson remporte l'Oscar du meilleur acteur lorsqu'il joue le rôle de Charlie Gordon. Ensuite, il inspire le réalisateur David Delrieux qui réalise un téléfilm franco-suisse, en 2006. 

En France, cette histoire a intrigué bon nombre de metteurs en scène et a été adaptée au théâtre à de nombreuses reprises. Depuis le 7 février dernier, une pièce intitulée Des fleurs pour Algernon se déroule presque tous les soirs au théâtre Héberto à Paris. Ce spectacle se jouera jusqu'au 20 avril 2014. Pour plus d'informations, cliquez ici.

Ci-dessous, vous trouverez le téléfilm franco-suisse complet en version originale. Je vous conseille de le visionner après la lecture de ce livre. Selon moi, cela permet d'avoir un regard critique sur l'oeuvre initiale. J'adore pouvoir comparer la littérature à son adaptation cinématographique. 

Vous constaterez qu'il y a de gros décalages entre le livre et le téléfilm. Certains personnages sont oubliés et certaines scènes importantes sont mises au placard. On se rend vite compte que le spectateur ne peut ressentir cette intensité d'émotions et de compassion qu'on peut éprouver lorsqu'on découvre cette histoire par la lecture. Ce téléfilm m'a replongée dans l'atmosphère du livre et m'a permis de réaliser à quel point l'auteur a réussi à me bouleverser par son style d'écriture. En effet, le fait de suivre au quotidien Charlie dans ses comptes-rendus et donc dans son intimité a rendu le récit très touchant. 

Bon visionnage et n'hésitez pas à partager votre avis!



4. Mon avis : 

«Conte Randu din boukin un télijan»
«Exceptionnel s'entend aussi bien pour un extrême que pour l'autre, si bien que j'ai été exceptionnel toute ma vie.» En effet, Charlie est un être exceptionnel, du début jusqu'à la fin et ce roman l'est tout aussi... J'ai été bouleversée par ce livre ! Je n'avais plus versé de larmes pour un livre depuis l'école primaire, et pourtant j'ai eu la vue brouillée et j'ai taché les dernières pages du roman.

Le livre débute par un extrait de La République de Platon qui décrit le trouble qui peut saisir l'âme quand elle passe de l'obscurité à la lumière, ou inversement, de la lumière à l'obscurité.


Et en effet, Des fleurs pour Algernon décrit le voyage cognitif de Charlie. Après une opération qui va lui permettre de développer son intelligence, on va suivre son changement de point de vue sur le monde. 

Il m'a d'abord un peu décontenancée puisqu'il est abordé sous l'ange de vie de Charlie, que l'on a poussé à raconter son expérience par des comptes-rendus réguliers, avec ses propres mots. Les premières pages sont donc bourrées de fautes d'orthographe, ce qui m'a vraiment déstabilisée. Ensuite, petit à petit, on voit son écriture s'améliorer, ses pensées s'approfondir. C'est au cœur même du texte que Daniel Keyes a inscrit l'évolution de Charlie, au fil des pages. Et c'est ce qui en a fait un roman poignant, qui m'est allé droit au cœur.


Au-delà de cette écriture et de cette construction particulière, le roman aborde de nombreuses questions qui touchent à l'intelligence de l'homme. Comme le dit un des médecins :
«Plus tu deviendras intelligent, plus tu auras de problèmes, Charlie.» N'était-il pas finalement plus heureux avant? Il avait des amis et un travail... Quand il prend conscience qu'il devient plus intelligent, de nouveaux sentiments, de nouvelles émotions  apparaissent : la première est la honte qu'il ressent, la honte envers l'ancien Charlie, toujours ancré en lui, que l'on a toujours pris pour un imbécile, dont on s'est moqué sans arrêt, sans qu'il ne s'en doute : «C'est facile d'avoir des amis si vous avez laissé les gens rire de vous.» 

Lorsque sa conscience s'éclaire, c'est assez douloureux pour le lecteur car il se sent aussi trahi. En accompagnant Charlie dans ses impressions, on pense qu'il est bien intégré à la boulangerie et avec les personnes, en général. Malheureusement, nous prenons conscience de la vérité avec Charlie et nous l'accompagnons dans cet éveil douloureux. Ce déchirement est pourtant accompagné du plaisir d'apprendre, de maîtriser de plus en plus de concepts, de dépasser ses maîtres. Il se rend alors compte de l'importance du savoir, même si cette découverte produit des bouleversements inattendus : «Je comprends que l'une des grandes raisons d'aller au collège et de s'instruire, c'est d'apprendre que les choses auxquelles on a cru tout sa vue ne sont pas vraies, et que rien n'est ce qu'il paraît être.»

En parallèle, il fait aussi l'expérience de ses premiers émois amoureux. Charlie est bloqué dans sa puberté, surtout lorsqu'il désire Alice, dont il est amoureux. C'est alors que son décalage social se fait sentir. Il a l'impression que l'intelligence n'est rien s'il n'y a pas le reste : l'amour, la douceur, la compassion. «L'intelligence et l'instruction qui ne sont pas tempérées par une chaleur humaine ne valent pas cher [...] trop souvent à la recherche du savoir chasse la recherche de l'amour. L'intelligence sans la capacité de donner et de recevoir une affection mène à l'écroulement mental et moral, à la psychose.» À la fin du roman, j'ai été envahie par un sentiment de tristesse. En effet, on suit le développement cognitif de Charlie et puis progressivement il redevient l'ancien Charlie, le déficient mental. Il ne se rend même pas compte de l'aventure scientifique qu'il vient de vivre... Cette naïveté qui refait surface m'a troublée. Tout au long du livre, j'ai eu beaucoup d'espoir en cette expérience et en l'évolution de Charlie, et tout s'est effondré...

Des fleurs pour Algernon est un livre qui se ressent, qui se vit. Plus qu'un roman de science fiction, c'est un roman psychologique d'une incroyable modernité, qui peut toucher tout le monde. Pour ma part, il a été un véritable coup de cœur!

5. Exploitation pédagogique

Il est évident que la lecture complète du livre n'est pas exploitable dans les classes du premier degré. Cependant, durant mon stage à l'Athénée Alain Hubert à Pepinster, j'ai abordé la ponctuation et il me semble utile d'utiliser l'extrait suivant lors d'exercices pour induire les connaissances sur cette matière.

"6 avril: Aujourd'hui, j'ai appris la virgule, qui est, virgule (,) un point avec, une queue, Miss Kinnian, dit qu'elle, est importante, parce qu'elle permet, de mieux écrire, et elle dit, que quelqu'un pourrait, perdre beaucoup d'argent, si une virgule, n'est pas, à la, bonne place. J'ai un peu d'argent, que j'ai, économisé, sur mon salaire, et sur ce que, la Fondation me paie, mais pas beaucoup et,je ne vois pas comment, une virgule, m'empêche, de le perdre.
Mais, dit-elle, tout le monde, se sert des virgules alors, je m'en servirai, aussi."

Ce qui serait demandé aux élèves : Après lecture de cet extrait, que peux-tu déduire du rôle de la ponctuation? Ensuite, lorsque les élèves auront rempli leur fiche-outil et qu'ils connaîtront les règles de la ponctuation je les inviterai à corriger cet extrait.

6. Lecture en réseau

Martin Page, Comment je suis devenu stupide,
éditions Flammarion, collection J'ai lu, 2002. 

Des fleurs pour Algernon m'a fait penser au livre Comment je suis devenu stupide de Martin Page. En effet, ces deux histoires abordent l'intelligence et son importance dans la société. 

Voici le résumé de ce livre²:

Antoine, vingt-cinq ans, cultivé, fin et bardé de diplômes aussi exotiques qu'inutiles en fait l'amère constatation. Loin de le rendre heureux, son sens aigu de l'observation et sa fâcheuse tendance à l'analyse ont fait son malheur. Une bonne dose de stupidité l'aiderait sans aucun doute à davantage «participer à la vie». Notre doux-dingue décide donc de se noyer dans les vapeurs de l'alcool. Non sans s'être au préalable copieusement documenté et s'être choisi un professeur expérimenté. Devenir alcoolique d'accord, mais intelligemment et méthodiquement. Comme on ne peut pas être génial en tout, Antoine échoue lamentablement. Il faut se rendre à l'évidence, l'alcoolisme n'est pas son rayon, pas plus que le suicide. La solution, car il y en a une, s'appelle Heurozac : deux petites pilules par jour et l'apprenti stupide peut ingurgiter des Big Mac, s'enrichir en boursicotant, s'offrir un loft branché et une grosse voiture sans culpabiliser. Bref, la vraie vie, enfin ! À trop tenter le diable, Antoine le rêveur ne sombrera-t-il pas doucement mais sûrement dans la bêtise et la médiocrité ? Emboîtant avec humour le pas de son Candide moderne, Martin Page nous offre avec Comment je suis devenu stupide un livre frais et léger où lobotomie et société de consommation font bon ménage. Un premier roman qui, malgré son propos, évite de se prendre au sérieux. Et c'est tant mieux !

Alors que Charlie rêve de devenir intelligent, Antoine souhaite vivre bête. Dans les deux romans la même structure est utilisée, mais l’un est forcément l’opposé de l’autre : Charlie passe de l’état d’arriéré mental à l’état de génie, pour retourner à son état initial tandis qu'Antoine passe de l’état de génie à la bêtise, pour en revenir à l’état de génie.

La plus grande ressemblance entre ces deux récits est le fait que les deux protagonistes ne sont pas heureux avec leur intelligence. Ils se sentent rejetés par la société. Ils sont en quête de leur identité mais se rendent vite compte que l'intelligence n'apporte pas toujours le bonheur.

Pour moi les différences fondamentales entre les deux récits sont les genres et les voix narratives. Comment je suis devenu stupide est un roman biographie accompagné d'un humour noir et subtil. L’histoire est racontée au moyen du pronom personnel « il ».  Des fleurs pour Algernon est un roman de science fiction (entre autres) qui se base sur l’utilisation du « je », vu que l'histoire est racontée sous la forme d'un journal intime. 

«L'intelligence ne fait pas le bonheur, à méditer...» 


¹ D'après le résumé de la quatrième de couverture du livre Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon (1966), éditions Flammarion, collection J'ai lu, 2012.