Jean Molla, Sobibor, éd. Gallimard Jeunesse, coll. Folio, 2003.
1. Analyse du paratexte
1.1 Qui est cet auteur ?
Jean Molla naquit le 28 décembre 1958 à Oujda au Maroc. Dès l'âge de 10 ans, il prit goût à la lecture et à l'écriture. Il a fait des études de lettres à Tours et à Poitiers, en France. Ce n'est qu'en 2000 qu'il commença à publier ses œuvres. Son premier roman, Copie conforme paraît. Il est également professeur de français au collège P. de Ronsard, dans une zone d'éducation prioritaire à Poitiers. Il a écrit de nombreuses nouvelles et de nombreux romans. Il est réputé internationalement pour sa plume de jeunesse.
D'après http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Molla, consulté le 27 avril 2014.
1.2 La première de couverture
L'illustration représente une personne couchée sur son lit et emmitouflée dans un drap. Elle semble être malheureuse et épuisée par la vie. Le thème semble sombre voire morbide.
Le titre Sobibor m'évoque des souvenirs. En effet, j'ai été visité le camp de concentration d'Auschwitz en dernière année secondaire. Si mes souvenirs sont bons, Sobibor aurait aussi été un camp.
Suite à mes recherches, j'ai (re)découvert que Sobibor était bien un camp, un camp d'extermination. Le site se situe au sud-est de la Pologne actuelle.
http://img.overblog.com/250x221/1/38/88/34/Meslectures/Sobibor2.JPG
Je suis intriguée, est-ce que ce livre va aborder la Seconde Guerre mondiale et ses atrocités? Ceci dit, l'histoire me passionne et les guerres en font partie. Ce thème me tient à cœur et je trouve qu'on ne devrait jamais se lasser d'informer les jeunes. Ceci est peut-être cliché mais je suis convaincue que la prise de conscience de nos erreurs antérieures nous permet de ne pas reproduire les mêmes tromperies.
1.3 La quatrième de couverture
Emma est une jeune fille atteinte d'anorexie. Appréhendée dans un supermarché pour vol, elle ne peut qu'expliquer: «Je l'ai fait pour qu'on m'arrête». Pourtant, Emma, veut savoir, Emma veut comprendre. Sobibor, ce nom, prononcé par sa grand-mère polonaise peu avant sa mort, lui apportera plus que de simples réponses.
Dans ce récit mettant en scène une adolescente aux prises avec des réalités qui la dépassent, Jean Molla revient sur un des épisodes les plus tragiques du siècle dernier. Ce roman, au succès critique et populaire a été récompensé par plus de dix prix littéraires et a été traduit en six langues.
2. Mon avis
Dans un premier temps, je dois dire que j'ai trouvé le roman très
bien écrit, c'est poignant de bout en bout, on a vraiment l'impression d'être aux
côtés de cette adolescente en proie aux affres de l'anorexie. Alors bien sûr,
c'est dur, c'est troublant, les moments où elle nous raconte comment elle vomit,
quel bonheur cela lui procure la première fois, cette sensation grisante de
contrôler son propre corps comme elle le souhaite en se privant de nourriture. Psychologiquement, ça emmène le
lecteur dans la souffrance et la douleur. Pas du tout évident de l'imaginer se
goinfrer de pâté pour chats accroupie sur le sol de la cuisine parce qu'elle a
mal pour ensuite aller tout régurgiter sur la belle porcelaine immaculée des
toilettes. Oui, ça choque, oui, ça vous fait mal comme si on vous assénait de
coups de poings à répétition.
Il faut avoir le cœur bien accroché pour lire ce
roman car il vous prend aux tripes. C'est un témoignage incisif, fort,
indomptable que celui de cette ado. J'ai parfois eu la sensation que je ne
pouvais pas m'arrêter de lire, j'avais besoin de savoir si elle serait encore
là à la page suivante...
Ce roman c'est celui d'un combat, celui d'Emma contre elle-même,
contre ses démons. Et pourtant, ce combat, on sent qu'elle veut y mettre fin
malgré tout car, dès le début du roman, elle lance un appel au secours, elle le
dit d'ailleurs très clairement, elle s'est fait prendre à voler dans un magasin
"pour qu'on l'arrête". Rien de plus clair que ça, pourtant, ses
parents ne vont pas réagir. Seul le directeur du magasin va l'interpeller. Je
sais que pour les parents d'enfants anorexiques, ça n'est pas évident de gérer
ça, de voir les choses en face, mais j'ai perçu les réactions d'Emma aussi
comme des cris de révolte face à ces deux êtres qui ne réagissent pas. Son père
est médecin, tout de même, et sa mère, je ne sais trop que penser de celle-ci
dont l'attitude m'a un peu exaspérée. On sent malgré tout leur tristesse, leur
impuissance, face au drame qui les touchent au travers de leur fille, mais j'ai
regretté qu'ils n'agissent pas, ils sont d'une indifférence à faire peur.
Je me suis très vite attachée à Emma justement, parce que, quelque
part, je comprends ce besoin qu'elle a de contrôler quelque chose dans sa vie,
quelque chose qui ne peut pas lui mentir, son corps. Elle le voit, d'ailleurs
avec une lucidité qui m'a frappée, ce corps où les côtes se dessinent à travers
une peau si fine, ses cuisses sèches et couvertes de vergetures et son ventre
plat et tendu. Un spectacle insoutenable, d'ailleurs à un
moment donné dans le roman, sa grand-mère amorce une comparaison, sans aller
jusqu'au bout mais ça n'est pas nécessaire pour que le lecteur la comprenne,
entre son corps et celui des hommes et des femmes des camps de concentration.
On se demande souvent pourquoi des jeunes qui ont "tout pour être heureux"
tombent dans l'anorexie, la boulimie ou tout autre trouble alimentaire.
Ce
roman est un début de réponse car il est réaliste, Emma ne nous cache rien de
sa condition, ne nous épargne rien, elle nous raconte tout, sa façon de picorer
dans les plats que lui prépare sa mère, sa façon de se goinfrer quand elle ne
va pas bien avant de tout vomir dans les toilettes, son indifférence, l'abandon
volontaire de toute trace de féminité en elle, son retour en enfance, comme
elle le dit si bien...
Car c'est un corps d'enfant qu'Emma a voulu retrouver. Tout un
symbole! En abandonnant son corps de femme, ses formes, elle a voulu redevenir
une petite fille, retrouver une part de l'innocence qu'elle avait perdu. Ce
refus de l'âge adulte est on ne peut plus marquant, Emma, au fond, ne veut pas
grandir, parce que grandir c'est accepter que la vie est loin d'être parfaite,
c'est accepter le mensonge de ceux qui vous entourent, l'hypocrisie, c'est
jouer le jeu des illusions et des faux-semblants. Emma n'était pas prête pour
ça. Son histoire démarre d’une façon banale en apparence, elle demande à son
petit ami comment il la trouve et il commet l'erreur de lui dire qu'elle est
belle mais peut-être un peu ronde ! S'ensuit un premier régime qui porte ses
fruits puis un second, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus s'arrêter. Mais cette
remarque n'est pas la cause du malaise profond d'Emma, elle l'a cru. Ensuite, elle a fini par comprendre, bien plus tard, que ça venait d'ailleurs. À la limite,
j'aurais préféré que ça vienne de là, parce que j'ai trouvé la véritable
explication un peu "tirée par les cheveux".
Si Emma se sent si mal, c'est parce que sa grand-mère lui a menti. Parce qu'elle et son grand-père - que la protagoniste considérait un peu comme ses parents, comme un exemple de bonheur, d'amour - portent des masques. Si Emma se rend malade, c'est à cause d'eux, à cause
de Sobibor. Comme je l'ai signalé plus haut, Sobibor était un camp
d'extermination en Pologne durant la Seconde Guerre Mondiale. Et voilà pourquoi
j'ai eu la sensation dérangeante que c'était un peu trop "gros" comme
cause de l'anorexie d'une ado de nos jours qui n'a pas connu, n'a pas vécu,
cette période-là. Mais, revenons un peu en arrière... Ce roman se construit
sur une alternance de deux niveaux, il y a tout d'abord Emma qui se raconte,
qui nous décrit son quotidien, et il y a les extraits d'un journal qu'elle lit,
celui de Jacques Desroches. Là ou ça devient intéressant, c'est au niveau du
contenu de ce fameux journal qui n'est autre que celui d'un français,
collaborateur de premier ordre, engagé dans l'armée allemande et ayant un
poste de gradé au camp de Sobibor.
Je me suis sentie comme Emma en lisant ce journal, il m'a donné
envie de vomir, tout simplement. De voir comment ce français adhérait aux idées
nazis, comment il vouait la grandeur de l'Allemagne, comment il parlait des
juifs, souhaitant leur extermination et y participant activement. Cela fait
froid dans le dos! Ce journal est glaçant tout simplement, c'est une horreur
de voir comment cet homme se complaît dans l'idéologie nazi au point de se rendre
complice de pas moins de 250 000 morts. Un chiffre effarant. Ce journal vous
dégoûte ! Le voir raconter - avec un certain plaisir et une fierté non
dissimulée - l'avancement de la construction du camp, la façon dont ils ont
trouvé une super méthode pour exterminer au plus vite les juifs arrivant dans
le camp sans qu'ils aient le temps de se révolter ou de se défendre, - même si
on peut se poser la question de savoir qui aurait oser le faire? - de voir
ses discussions avec son ami SS dégoulinantes d'horreur, c'était encore plus
insoutenable presque que l'anorexie d'Emma. Voir ainsi la pensée d'un homme,
d'un vendu, fier de trahir la race humaine, fier d'être un bourreau, fier
d'être un nazi, c'est une angoisse, une rage, une violence qui ne vous lâche
plus une fois que vous avez lu les premières lignes de ce journal.
Comment excuser, comment comprendre, qu'on ait pu prendre part à
un tel massacre sans réagir? Comment pardonner à un homme d'être juste un
homme? Oui, Jacques Desroches était jeune à l'époque, on aurait pu pardonner
ses erreurs, après tout, pourquoi pas? Non, impossible. Et pour Emma c'est
pareil, elle se prend pour un juge et le condamne sans préambule. Qui
pourrait lui en vouloir? Car cet homme infect, elle le connaît, bien plus
qu'elle ne l'aurait voulu. Car cet homme a été l'amant de sa grand-mère. Sa
propre grand-mère qui a vécu l'amour de sa vie en vivant avec cet homme au sein
même du camp de Sobibor. Voilà qui dépasse l'entendement pour Emma. Comment
peut-on vivre heureux, amoureux, dans un camp alors qu'à côté de soi des milliers
d'êtres humains passent dans les chambres à gaz pour ne plus en ressortir? Comment connaître joie, bonheur, et les apprécier, alors qu'on vit dans
une maison entourée de meurtriers? Impensable! Elle s'est sentie trahie par
cette femme qu'elle aimait tant, rejetée, abandonnée. On passe par tous les
stades d'émotions en lisant ce journal. On ne peut
pas rester indifférent quand on lit ce roman. J'ai regretté cependant que la
révélation sur Jacques Desroches ait été si prévisible et sa fin, si lâche.
Ce qui fait d'Emma ce qu'elle est, c'est Sobibor, l'histoire qu'elle raconte. C'est l'amour, la haine, la détresse, le souvenir, la trahison,
l'horreur. Oui, c'est un livre touchant, repoussant, c'est un cri, un appel.
J'ai apprécié le fait de voir "de l'intérieur" ce camp de la mort simplement en tournant les pages. Cela nous offre un nouveau point de vue encore sur ces actes
monstrueux qui ont été perpétrés à l'époque, c'est important aussi de
comprendre comment un homme peut tomber aussi bas dans l'absurdité. Mais, ce qui
m'a gênée, c'est le fait d'accoler les deux thématiques, l'anorexie d'Emma et Sobibor.
J'aurais sans doute préféré qu'il s'agisse de deux romans différents, parce que
j'ai trouvé que ça n'était pas pleinement cohérent. La cause de son
anorexie, c'est le mensonge, mais pourquoi basé ce mensonge sur un camp? Alors
oui, ça donne sans doute plus d'impact, plus d'ampleur à l'histoire, même si je
n'en suis pas totalement convaincue. Parfois les histoires les plus
"simples" sont les plus douloureuses, les plus belles. Celle-ci est
pour le coup loin d'être agréable à lire mais, une chose est sûre, elle mérite
le détour.
Vous l'aurez compris, mon avis reste en demi-teinte pour ce roman.
Même si j'ai apprécié ma lecture parce que les deux sujets principaux qui y
sont abordées me touchent de près, que je n'ai pas cessé d'être dans l'émotion
tout au long de ma lecture mais je n'arrive pas à trouver le lien entre eux
réaliste. La leçon que nous offre ce roman, cette leçon de vie, de main
tendue, de vérité, est précieuse. Alors, si vous avez l'occasion de le faire,
n'hésitez pas à le lire cher lecteurs...
3. Quelques extraits
« Je n'avais pas encore compris que ne plus manger signifie très exactement souhaiter se mettre à l'écart. C'est une sorte de ghetto que l'on s'invente pour soi seul et dans lequel on s'enferme avec un mélange pervers d'aveuglement et de ravissement. C'est une forme de distinction absurde, pour se différencier à tout prix, se dessaisir du banal. On ne peut plus partager ce qu'il y a de commun. On ne peut plus communier dans la célébration des choses mortes. On a le regard qui s'est tordu. On ne voit plus les aliments avec innocence et l'on s'étonne que les autres ne nous suivent pas. » (p.55)
« Notre efficacité provient de notre aptitude à maîtriser nos émotions. Ce ne sont pas des êtres humains que nous traitons. Le plus difficile est de le comprendre et de l'accepter. Quand on a saisi cette évidence, tout devient tellement plus simple. Il nous faut veiller également à ne pas poser le problème en termes prétendument moraux. Nous sommes par-delà le bien et le mal, et notre oeuvre pourrait susciter bien des incompréhensions. Il importe donc qu'elle soit achevée quand nous nous en expliquerons. A ce moment-là, elle s'imposera par son évidence. » (p. 92)
« Je sais enfin que je suis entre parenthèses. Moi, j'ai au moins cette chance. Je suis comme je suis parce que je suis en instance de vie. Une anorexique n'est pas en marge. Elle s'est faite aussi mince que le trait qui sépare la marge de l'espace où l'on écrit. Un jour ou l'autre, si tout va bien, elle revient sur la page. C'est ce que je m'efforce de faire. » (p.152)
« Ces théories sur la race, tu y as souscrit parce qu'elles flattaient ton ego, parce que tu éprouvais une immense satisfaction à t'imaginer différent. Tu jubilais d'appartenir à une espèce supérieure : la race aryenne, destinée à régner sur l'humanité. Mais d'autres, à la même époque, n'y ont jamais cru. D'autres se sont battus contre les nazis ou, plus simplement, ont refusé de les suivre. » (p. 160)